- DISCOURS
L’avenir numérique des paiements : la voie vers la souveraineté et l’innovation en Europe
Intervention de Piero Cipollone, membre du directoire de la BCE, lors de l’événement organisé par le France Payments Forum et intitulé « L’euro numérique et le futur des paiements en Europe »
Paris, le 15 mai 2025
Je vous remercie de votre invitation à cet échange sur l’avenir des paiements et l’euro numérique.
L’adoption de l’euro est couramment associée à la mise en circulation des billets et des pièces en euros. Introduit à des fins comptables dès 1999, l’euro n’est en effet véritablement devenu « notre monnaie » que trois ans plus tard pour la plupart de nos concitoyens, quand ils ont commencé à utiliser les espèces en euros. Avec les billets et pièces en euros, la nouvelle monnaie est devenue le symbole tangible d’une Europe unie.
Une monnaie forte doit s’accompagner de systèmes de paiement robustes. Les infrastructures de paiement que la BCE a mises en place constituent la « plomberie » de notre système financier. Moins visibles que les billets et pièces en euros, celles-ci sont pourtant essentielles à l’intégration monétaire et financière.
Les paiements de détail et de gros font donc partie intégrante des missions de la BCE. Nous émettons les espèces, fournissons des réserves (l’actif liquide ultime) aux banques, gérons les systèmes de paiement et soutenons ainsi notre économie en offrant des moyens sûrs, sans risque et européens de régler les transactions dans la zone euro. Notre stabilité économique et notre souveraineté monétaire s’en trouvent ainsi préservées.
En s’appuyant sur cette base fiable, les entreprises du secteur privé peuvent quant à elles proposer leurs propres solutions sans que leurs clients n’aient besoin de se poser de question sur l’argent qu’ils utilisent. Un euro est toujours égal à un euro, car la monnaie privée peut être convertie en espèces à tout moment et les transactions financières peuvent être réglées en monnaie de banque centrale, le seul actif sans risque.
Je souhaite donc aujourd'hui m'intéresser à la préparation de notre monnaie au monde de demain et au renforcement de l’intégration, de la compétitivité et de la résilience des paiements européens à l’ère du numérique.
Comme les Européens se tournent de plus en plus vers les paiements numériques et le commerce en ligne, le rôle des espèces comme solution de paiement universelle perd du terrain. Nous courons donc le risque qu’aucune solution de paiement européenne ne permette de payer dans toute la zone euro en toutes circonstances. Si nous souhaitons restaurer le rôle central des espèces, nous devons les compléter par leur équivalent dématérialisé, l’euro numérique. La création d’une forme numérique de la monnaie de banque centrale peut sembler être une avancée minime et évidente, mais il s’agira en fait d’une véritable rupture devant permettre de surmonter la fragmentation profondément ancrée de notre marché des paiements. L’euro numérique y contribuera directement par la modernisation de l’offre de monnaie publique et indirectement grâce à son infrastructure et son réseau, que les prestataires privés de services de paiement pourront utiliser pour se développer et innover à l’échelle de l’Europe. À terme, un euro numérique renforcera la compétitivité des fournisseurs européens ainsi que leur capacité à proposer tout type de paiement numérique aux consommateurs européens.
La situation est autre en ce qui concerne les opérations financières de gros, pour lesquelles nous proposons déjà un règlement en monnaie de banque centrale numérique sans être confrontés aux mêmes dépendances. Les intervenants de marché prévoient cependant que la tokenisation et la technologie des registres distribués (distributed ledger technology, DLT) transformeront les transactions financières en permettant l’émission ou la représentation d’actifs sous forme numérique. Nous élargissons actuellement notre projet visant à rendre possible le règlement en monnaie de banque centrale des transactions fondées sur la DLT. En rendant la monnaie de banque centrale disponible, nous évitons le risque d’utilisation d’autres actifs de règlement, comme les stablecoins adossés au dollar, ce qui réintroduirait un risque de crédit, la fragmentation et une dépendance à l’égard de solutions non européennes.
Nous progressons sur ces deux fronts – paiements de détail et opérations financières de gros – en parallèle. Dans les deux cas, l’Europe doit disposer d’une monnaie souveraine apte à relever les défis de l’ère numérique pour exploiter les avantages de l’intégration européenne, soutenir l’innovation et préserver son indépendance. Comme l’expliquait le regretté économiste français Michel Aglietta, la monnaie n’est pas un dispositif technique, c’est une institution essentielle[1].
Un euro numérique pour les paiements quotidiens
Je voudrais commencer par expliquer la raison d’être de l’euro numérique ainsi que les avantages qu’il apportera.
Actuellement, les espèces sont le seul moyen de paiement souverain dans la zone euro. Elles fournissent aux Européens un moyen pratique, sûr et accepté universellement de payer et de constituer une réserve de valeur, garantissant ainsi l’inclusion financière. Les espèces soutiennent également la capacité de résistance de nos systèmes de paiement et de nos économies, car elle constitue une solution de repli fiable en temps de crise, comme lors de cyberattaques ou de coupures d’électricité. C'est pourquoi nous y restons très attachés[2].
Pour autant, les paiements numériques sont de plus en plus courants, les achats en ligne représentant notamment plus du tiers des opérations de détail en Europe. Par conséquent, la disponibilité et l’acceptation des espèces ne suffisent plus à couvrir une part croissante des situations de paiement. En valeur, les paiements en espèces n’ont représenté que 24 % des paiements quotidiens dans la zone euro l’année dernière[3].
En l’absence d’une véritable solution de paiement européenne fonctionnant partout dans la zone euro, nous sommes dépendants de prestataires de paiement extérieurs[4]. À l’heure actuelle, près de deux tiers des opérations de paiement par carte effectuées dans la zone euro sont traitées par des entreprises non européennes. 13 pays de la zone euro dépendent entièrement de solutions mobiles ou de systèmes de carte internationaux pour les paiements en magasin[5]. Même lorsqu’il existe des systèmes de carte nationaux, ceux-ci doivent être « co-badgés » à des dispositifs internationaux pour le traitement des paiements transfrontières au sein de la zone euro ainsi que pour les achats en ligne. Par ailleurs, les applications mobiles et les solutions de paiement électronique proviennent généralement de l’extérieur de la zone euro (PayPal, Apple Pay ou Alipay, par exemple). Pour renforcer leur position et étendre leur portée, celles-ci s’appuient par ailleurs sur les systèmes de carte internationaux : PayPal vient par exemple d’annoncer qu'il serait bientôt possible d’utiliser l’application pour effectuer des paiements sans contact en Allemagne, par l’intermédiaire de la technologie de Mastercard[6]. À l’avenir, notre dépendance pourrait s’étendre aux stablecoins étrangers, dont 99 % sont libellés en dollars en termes de valeur totale[7].
Trois défis majeurs se posent donc dans le domaine des paiements en Europe.
Premièrement, nous devons assurer notre autonomie stratégique et notre souveraineté monétaire. Notre dépendance excessive à l’égard de prestataires de paiement extérieurs nous soumet au « bon vouloir » de ces fournisseurs à une époque de fortes tensions géopolitiques, Ce risque est, me semble-t-il, bien compris au pays du général De Gaulle. La véritable souveraineté passe nécessairement par la souveraineté monétaire[8]. Comme l’a souligné mon cher collègue le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, ceci était vrai par le passé et l’est toujours au XXIe siècle[9].
Deuxièmement, nous devrions simplement nous demander pourquoi il n’existe pas de système de carte international basé en Europe. Selon moi, cela est dû à notre compétitivité et notre capacité d’innovation insuffisantes. Les prestataires de services de paiement européens sont concentrés sur leur propre pays et peinent à concourir au niveau européen, a fortiori au niveau mondial, et ne sont donc pas en mesure d’innover à grande échelle. Le coût d’investissement dans un réseau paneuropéen a souvent découragé les prestataires de services de paiement européens de proposer une solution de paiement par carte européenne.
Ces manquements se font durement ressentir à travers la prédominance de fournisseurs non européens, qui engendre des coûts élevés tant pour les commerçants que pour les consommateurs. Lorsque les opérations de paiement sont réalisées par l’intermédiaire de systèmes de carte internationaux, les banques européennes perdent des frais. Lorsque les opérations sont effectuées par l’intermédiaire d’applications comme Apple Pay ou PayPal, elles perdent non seulement des frais, mais aussi des données. Et si l’utilisation des stablecoins libellés en dollar se répand, elles pourraient en outre perdre des dépôts.
Troisièmement, l’expérience utilisateur des Européens reste médiocre, car ceux-ci doivent jongler entre différentes solutions de paiement pour répondre à leurs divers besoins. Bien que l’euro ait 25 ans, nous ne disposons toujours pas d’une solution de paiement numérique accessible dans tous les pays de la zone euro.
Ce sont tous ces défis que nous entendons relever avec l’introduction de l’euro numérique.
Il est important de noter que l’euro numérique simplifierait les paiements. Il fournirait un moyen de paiement numérique qui compléterait les espèces et étendrait leurs avantages à la sphère numérique. Il aurait cours légal et serait donc accepté pour toute forme de paiement numérique. Et il serait aussi disponible hors ligne, offrant aux utilisateurs un niveau de protection de la vie privée comparable à celui qui accompagne les paiements en espèces et leur permettant de payer même sans connexion réseau. Un euro numérique offrirait aux consommateurs européens une solution de paiement numérique simple et sûre, gratuite pour les utilisations de base, satisfaisant l’ensemble de leurs besoins en matière de paiement partout dans la zone euro.
En fait, un argument simple plaide en faveur de l’introduction d’un euro numérique : nos concitoyens le veulent ! D’ores et déjà, près de la moitié des personnes interrogées déclarent qu’elles utiliseraient probablement l’euro numérique, une proportion en nette augmentation[10]. Cette tendance est confirmée par plusieurs enquêtes[11] menées par les banques centrales nationales, qui laissent supposer que de nombreux Européens sont ouverts à l’idée d’utiliser un euro numérique.
La mise en place de l’euro numérique permettrait aussi à la zone euro de garder le contrôle sur son avenir financier. En tant que solution de paiement numérique universellement acceptée et sécurisée, adaptée à tous les cas d’utilisation et – point essentiel – placée sous gouvernance européenne, il réduirait notre dépendance à l'égard de prestataires extérieurs. Cela protégerait les commerçants européens contre les frais excessifs, en renforçant leur pouvoir de négociation face à ces prestataires et en leur donnant accès à une solution alternative[12]. Les banques européennes pourraient en outre conserver leur relation avec leurs clients et être rémunérées pour leur rôle dans la distribution de l’euro numérique. Et l’euro numérique empêcherait la possible généralisation du recours aux stablecoins en devises pour les paiements de détail au sein de la zone euro.
Par ailleurs, l’euro numérique reposerait sur un partenariat public-privé qui favoriserait les synergies et permettrait la mise en œuvre d’initiatives privées à l’échelle de l’UE. Un « co-badgeage » pourrait par exemple être mis en place entre les solutions nationales de paiement par carte et l’euro numérique pour couvrir les transactions qu’elles ne peuvent pas traiter actuellement. De même, les portefeuilles des banques et les solutions de banque en ligne pourraient intégrer l’euro numérique comme moyen de paiement supplémentaire accepté partout dans la zone euro et soutenant à la fois les paiements sans contact et ceux fondés sur des codes QR[13]. Les normes ouvertes relatives à l’euro numérique, qui pourront être finalisées dès que le règlement sur l’euro numérique sera adopté et pourront commencer à être utilisées avant même l’émission de l’euro numérique, permettraient aux prestataires privés de lancer de nouveaux produits et fonctionnalités à travers l’UE à moindre coût. Cela encouragerait l’innovation et ouvrirait de nouvelles possibilités commerciales. À cet égard, des études montrent que les cours boursiers des entreprises de paiement européennes augmentent à la suite d’annonces positives concernant l’euro numérique, quand ceux des entreprises de paiement américaines baissent[14].
Nous avons lancé en octobre dernier un appel à manifestations d’intérêt pour des partenariats à vocation innovante visant l’euro numérique. Quelque soixante-dix commerçants, entreprises Fintech, start-ups, banques et autres prestataires de services de paiement – dont quatre en France[15] – nous ont rejoints dans nos travaux d’étude sur le potentiel d’innovation de l’euro numérique[16]. Notre plateforme d’innovation simule l’écosystème envisagé pour l’euro numérique, dans lequel la BCE fournit un soutien technique et l’infrastructure permettant aux intermédiaires européens de développer des caractéristiques et des services de paiement numérique au niveau européen. Nous étudions notamment la possibilité d’élargir l’ensemble des paiements conditionnels possibles, par exemple en permettant aux utilisateurs de conditionner les paiements à la fourniture effective d’un bien ou à la bonne exécution d’un service.
Nous publierons un rapport sur ces partenariats d’innovation en juillet. Ce rapport inclura les informations techniques partagées avec les participants, de sorte que le marché dans son ensemble puisse reproduire ces activités, ce qui favorisera davantage encore l’innovation par le secteur privé. De plus, à la suite des commentaires positifs reçus de ces pionniers, nous avons décidé de prolonger l’exercice jusque fin juin, ce qui nous permettra de tester de nouvelles fonctionnalités de paiements conditionnels et d’incorporer des idées et suggestions novatrices émanant de nos contreparties du secteur privé.
Si nous voulons que l’euro numérique nous aide à retrouver notre autonomie dans l’espace des paiements de détail et à stimuler la capacité d’innovation, nous devrons collaborer. Ces dernières années, nous avons travaillé étroitement avec les acteurs du marché et recueilli les avis des consommateurs, des commerçants, des banques et des prestataires de services de paiement. Nous avons aussi commencé à coopérer avec les intervenants de marché sur le recueil de règles pour l’euro numérique, un ensemble unique de règles, de normes et de procédures pour les paiements en euros numériques[17].
Cette approche inclusive nous aide à répondre aux différents besoins et à tenir compte des différents points de vue, en élaborant une solution et une plateforme de paiement robustes qui profiteront à tous les Européens, soutiendront l’innovation au sein du secteur privé et préserveront l’avenir de notre monnaie, l’euro.
Le rôle de la monnaie de banque centrale dans la constitution d’un marché européen des actifs numériques
Je voudrais maintenant aborder les transactions de gros, domaine dans lequel le potentiel de transformation technologique est énorme.
À l’heure actuelle, nous permettons le règlement en monnaie de banque centrale des transactions entre institutions financières par l’intermédiaire de nos services TARGET : T2 traite plus de 90 % des paiements de montant élevé, tandis que T2S (TARGET2-Securities) permet le règlement des opérations sur titres.
Ces services ont considérablement renforcé l’efficacité et l’intégration des plateformes post-marché en Europe. Et nous continuons de les améliorer. Ainsi, en 2023, nous avons élargi les heures d’ouverture de T2 à 22,5 heures les jours de la semaine et nous sommes sur le point de publier un document de consultation pour évaluer si les utilisateurs souhaitent une nouvelle extension des heures de fonctionnement. Dans un mois, nous lancerons également le système européen de gestion des garanties[18], qui fournira un cadre unique harmonisé pour le traitement des garanties dans les 20 pays de la zone euro. De plus, en octobre 2027, nous passerons à T+ 1, raccourcissant ainsi le cycle de règlement de deux jours à un. Dans le même temps, des technologies émergentes telles que la DLT et la tokenisation pourraient entraîner un changement majeur sur les marchés de gros.
Plus qu’un simple pas en avant, il s’agirait d’un mode de fonctionnement radicalement nouveau grâce à l’émission et à la représentation d’actifs sous forme numérique. Cette innovation permettrait aux intervenants de marché de gérer la négociation, le règlement et la conservation des titres sur une plateforme unique, disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an. Elle rendrait également possible la synchronisation entre négociation et règlement. Et elle permettrait la création de nouveaux modèles d’activité, comme l’automatisation des opérations conditionnelles. La DLT et la tokenisation pourraient également réduire le coût de l’accès aux marchés des capitaux et faciliter cet accès, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.
À vrai dire, l’émergence de ces nouvelles technologies offre l’occasion de créer d’emblée un marché européen intégré des capitaux pour les actifs numériques – une union numérique des marchés des capitaux – qui contribuerait à mieux orienter notre épargne vers des utilisations productives et à renforcer le potentiel d’innovation en Europe[19]. Les marchés européens des capitaux pourraient ainsi devenir un pôle de référence en matière de services financiers basés sur la DLT.
Les banques européennes sont actives dans ce nouvel espace, plus de 60 % d'entre elles étudiant ou utilisant la DLT et 22 % mettant déjà en œuvre des applications de DLT. Sur le front des titres, un nombre croissant d’émissions de haut niveau s’appuient sur la DLT.
La disponibilité de monnaie de banque centrale pour le règlement d’opérations à l’aide de ces nouvelles technologies est essentielle pour deux raisons. Premièrement, sans monnaie de banque centrale, d’autres actifs de règlement tels que les stablecoins ou les dépôts tokenisés pourraient être utilisés, introduisant de nouveaux risques de crédit et de fragmentation dans le système financier. Deuxièmement, le marché considère que la possibilité d’effectuer des règlements en monnaie de banque centrale est un facteur essentiel en vue de l’adoption de nouvelles technologies.
En 2024, l’Eurosystème a mené des travaux exploratoires pour le règlement en monnaie de banque centrale de transactions de gros fondées sur la DLT, utilisant trois solutions différentes pour assurer l’interopérabilité entre nos infrastructures et les plateformes DLT[20]. Les résultats ont été très prometteurs puisque 60 participants du secteur ont pu procéder au règlement de transactions réelles en monnaie de banque centrale ou ont conduit des expérimentations sur la base de transactions fictives. Un large éventail de cas d’utilisation de titres et de paiements a été couvert, y compris la première émission d’une obligation souveraine de l’UE utilisant la DLT. Un montant total de 1,6 milliard d’euros a été réglé sur une période de six mois, dépassant les valeurs réglées lors d’initiatives comparables dans d’autres régions du monde.
Nous avons déjà annoncé l’étape suivante qui vise à permettre, à brève échéance, de régler des transactions fondées sur la DLT en monnaie de banque centrale[21]. À plus long terme, l’Eurosystème étudiera une solution pérenne plus intégrée. Il existe en effet un risque majeur que la fragmentation des applications DLT et le manque d’interopérabilité entravent le développement de marchés liquides fondés sur la DLT en Europe, ce qui entraînerait des coûts élevés pour les investisseurs et les émetteurs se connectant à plusieurs plateformes. Nous devons donc créer un écosystème plus harmonisé et intégré.
Pour ce faire, une solution consisterait à adopter un registre partagé : une plateforme programmable regroupant plusieurs versions tokenisées de monnaie de banque centrale, de monnaie de banque commerciale et d’autres actifs sur laquelle les acteurs du marché pourraient proposer leurs services. Une autre option pourrait consister à développer de manière coordonnée un écosystème de solutions techniques pleinement interopérables, qui pourrait mieux traiter des cas d’utilisation spécifiques et permettre la coexistence de solutions tant anciennes que nouvelles.
Cette démarche nous aidera à renforcer l’efficacité des marchés financiers européens grâce à l’innovation, conformément à l’objectif de l’Eurosystème de parvenir à un système financier européen plus harmonisé et plus intégré.
Nous ne pourrons toutefois y parvenir seuls. À l’heure où nous entrons dans cette nouvelle phase d’exploration, la collaboration avec les acteurs publics et privés sera cruciale.
Conclusion
Permettez-moi à présent de conclure mon propos.
La marche vers un euro numérique et l’intégration de nouvelles technologies dans les transactions de gros constituent un moment charnière pour l’Europe. En adoptant ces innovations, nous pouvons consolider notre souveraineté monétaire, renforcer notre compétitivité et ouvrir la voie à un système financier plus intégré et plus résilient.
Grâce à l’euro numérique, les Européens auront accès à une solution de paiement numérique sûre, fiable et universellement acceptée qui complétera les espèces tout en réduisant notre dépendance à l’égard de fournisseurs étrangers. Dans le même temps, s’appuyer sur la monnaie de banque centrale dans le cadre de transactions fondées sur la DLT favorisera l’émergence d’un marché dynamique et unifié des actifs numériques, stimulant l’innovation et ouvrant de nouveaux débouchés commerciaux sur l’ensemble du continent.
Dans cette ère de profonde mutation, la collaboration est essentielle. Nous devons réunir toutes les parties prenantes – publiques et privées, nationales et européennes – pour élaborer des solutions qui reflètent la diversité des besoins et des perspectives de tous les Européens. Ensemble, nous pouvons tirer parti de ces avancées technologiques pour construire un écosystème financier qui soit non seulement plus efficace et plus innovant, mais aussi plus inclusif et plus sûr.
Nous avons hérité d’une Europe unie et d’une monnaie incarnant cette unité. Nous devons quant à nous transmettre une Europe souveraine et un euro en mesure d’affronter les défis à venir. Telle est notre responsabilité collective – acteurs publics comme privés.
Je vous remercie de votre attention.
M. Aglietta et N. Valla (2021), « La monnaie n’est pas un dispositif technique, c’est une institution essentielle », Le Monde, 2 avril, et M. Aglietta et N. Valla (2021), Le futur de la monnaie, Odile Jacob.
La stratégie fiduciaire de l’Eurosystème vise à garantir que les espèces restent largement accessibles et acceptées, aussi bien comme moyen de paiement que comme réserve de valeur. La BCE accueille par ailleurs très favorablement la proposition de règlement européen régissant le cours légal des billets et pièces en euros.
P. Cipollone (2025), « The role of the digital euro in digital payments and finance » (le rôle de l’euro numérique dans les paiements numériques et la finance), contribution au journal Bancaria, 28 février.
Cf. Cipollone, P. (2025), « L’euro numérique pour une plus grande autonomie stratégique européenne », déclaration introductive devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, Bruxelles, 8 avril.
Cf. BCE, Report on card schemes and processors (rapport sur les systèmes et processeurs de cartes), février 2025. De plus, seuls quelques pays européens proposent une solution de paiement nationale pour les achats en ligne.
PayPal (2025), « PayPal Announces Plans to Revolutionize In-Store Payments in Germany » (PayPal annonce des plans devant révolutionner les paiements en magasin en Allemagne), 5 mai.
Cf. Lane, P.R. The digital euro: maintaining the autonomy of the monetary system (l’euro numérique : maintenir l’autonomie du système monétaire), discours prononcé lors de la conférence de l’University College Cork Economics Society, 20 mars 2025.
Cf. Aglietta, M., Orléan, A. (éd.). (1998), La Monnaie souveraine, Odile Jacob.
Villeroy de Galhau, F. (2023), « La souveraineté monétaire au XXIe siècle », discours prononcé lors d’une Conférence au Conseil d’État, Paris, 14 novembre 2023.
La part des personnes interrogées dans la zone euro qui seraient susceptibles d’utiliser effectivement l’euro numérique est passée de 28 % en 2022 à 45 % en 2024. Cf. D. Georgarakos et al. (2025) « Consumer attitudes towards a central bank digital currency » (comportements des consommateurs concernant une monnaie numérique de banque centrale), document de travail de la BCE no 3035.
Cf. dnb.nl (2025), bundesbank.de (2024), dnb.nl (2021), bde.es (2022–2023), nbs.sk (2024), OeNB ideas.repec.org (2021/2022).
Aucune redevance ne serait appliquée et les frais de service seraient plafonnés, conformément à la proposition de règlement sur l’euro numérique.
Un euro numérique serait compatible avec plusieurs technologies de paiement, comme, d’une part, la communication en champ proche (NFC) facilitant les paiements sans contact rapides par carte, téléphone ou autres appareils portatifs, adaptés aux transactions en magasin et entre particuliers, et, d’autre part, les codes QR (quick response), permettant des paiements simples en ligne ou à proximité.
Cf. T. Berg, J. Keil, F. Martini et M. Puri (2024), « CBDCs, Payment Firms, and Geopolitics » (les monnaies numériques de banque centrale, les entreprises de paiement et la géopolitique), Working Paper Series, no 32857, National Bureau of Economic Research. Les auteurs estiment à 23 milliards de dollars le gain pour les entreprises de paiement européennes et à 127 milliards de dollars la perte de capitalisation boursière des entreprises de paiement américaines à la suite des annonces positives concernant l’euro numérique sur leur période d’échantillonnage (allant jusqu’en 2022).
Cartes Bancaires (qui fait partie de l’Association européenne des cartes de paiement), equensWorldline SE, Venturexpert Capital SAS et Xavier Lavayssière (Naga Banking).
BCE (2025), « La BCE s’associe au secteur privé via la plateforme d’innovation pour l’euro numérique », communiqué de presse de la BCE, 5 mai. Voici quelques exemples des nouveaux cas d’utilisation proposés : 1) utiliser un smartphone comme appareil d’enregistrement et de paiement pour les transports en banlieue et permettre les remboursements en cas de retard ; 2) instaurer des droits du consommateur à révoquer des abonnements, un processus souvent peu transparent actuellement.
L’Eurosystème a mis en place un groupe d’élaboration du recueil de règles applicables au dispositif d’euro numérique afin d’obtenir le point de vue du secteur financier, des consommateurs et des commerçants. Ce groupe se compose de vingt-deux spécialistes issus des secteurs public et privé et dotés d’une expérience dans les domaines de la finance et des paiements. Cf. BCE, « Members of the Rulebook Development Group » (membres du groupe d’élaboration du recueil de règles), 15 février 2023. Pour de plus amples informations, cf. la lettre du 5 septembre 2024 de Piero Cipollone à Aurore Lalucq, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, intitulée Update on work of digital euro Rulebook Development Group (état d’avancement des travaux du groupe d’élaboration du recueil de règles pour un euro numérique).
Le système européen de gestion des garanties (European Collateral Management System, ECMS) est un système unifié de gestion des actifs utilisés en garantie dans les opérations de crédit de l’Eurosystème. Il doit être lancé le 16 juin 2025.
Cipollone, P. (2024), «Towards a digital capital markets union » (vers une union des marchés de capitaux numériques), discours prononcé lors du symposium de la Bundesbank sur l’avenir des paiements, 7 octobre.
Cf. BCE (2024), « Exploratory work on new technologies for wholesale central bank settlement » (travaux exploratoires sur les nouvelles technologies pour le règlement en monnaie de banque centrale de transactions de gros).
BCE (2025), « L’Eurosystème étend l’initiative visant à régler les transactions fondées sur la DLT en monnaie de banque centrale », communiqué de presse, 20 février.
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