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Les effets de la politique monétaire de la BCE dans les territoires

Discours de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, au campus Les Champs du Possible, Châteaudun, le 4 octobre 2018

Transparents de la présentation

C’est un grand plaisir pour moi d’être ici, ce soir, à Châteaudun et de pouvoir échanger avec vous. Pour le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), qui définit la politique monétaire de la zone euro, un tel dialogue est primordial à plus d’un titre. [1]

D’une part, il nous permet de mieux comprendre l’état de l’économie et ses moteurs. Aujourd’hui, j’ai eu l’occasion de rencontrer des lycéens des environs et j’ai visité une entreprise qui exporte ses produits en Europe et dans le reste du monde. Dans une union monétaire de dix-neuf pays, les responsables de la politique économique courent toujours le risque d’attacher trop d’importance à la situation d’ensemble au détriment des réalités locales.

D’autre part, les visites dans des communautés locales nous donnent l’opportunité d’expliquer notre action. Responsables devant les 340 millions de citoyens de la zone euro, il est de notre devoir de faire connaître nos actions et d’en justifier le bien-fondé.

C’est d’ailleurs ce que je me propose de faire à présent. En particulier, je souhaiterais évoquer le rôle de la politique monétaire de la BCE dans le contexte d’expansion économique actuel et montrer comment nos mesures contribuent à favoriser l’emploi et la croissance dans la zone euro dans son ensemble mais aussi ici, en Eure-et-Loir. Plus important encore, peut-être, je mentionnerai les limites de la politique monétaire et comment une croissance durable nécessite des politiques de croissance et d’emploi aux niveaux régional,national et européen.

La réponse de la BCE à la fragmentation financière

Permettez-moi de commencer par un aperçu de la situation dans la zone euro.

Comme vous pouvez le voir sur ce premier transparent, la croissance de l’économie de la zone euro est ininterrompue depuis maintenant cinq ans. Le produit intérieur brut, représenté par une ligne bleue, est nettement supérieur aux niveaux observés avant la Grande crise financière.

La situation sur les marchés du travail s’est également améliorée de façon notable ces dernières années. En effet, 9,2 millions d’emplois (la ligne jaune) ont été créés depuis la mi-2013. Le taux de chômage est quant à lui tombé à 8,1 % en août 2018, son niveau le plus bas depuis dix ans. Le taux d’activité de la population âgée de 15 à 74 ans s’élève désormais à 64 %, soit 1,5 point de pourcentage de plus qu’il y a dix ans. Par comparaison, aux États-Unis, le taux de participation des personnes âgées de 16 ans et plus est revenu de 66 % en 2008 à 63 % en 2017.

La croissance plus forte et la hausse de l’emploi entraînent par ailleurs un renforcement progressif des tensions sur les prix. À droite, vous pouvez voir qu’après avoir été stables pendant longtemps, les salaires, mesurés par la rémunération par tête, ont fini par se redresser. Leur augmentation évoluant à un rythme supérieur à celui de l’inflation, un grand nombre de personnes voient leurs revenus réels s’accroître. Une bonne nouvelle pour les carnets de commande des entreprises !

Aussi, dans l’ensemble, peut-on raisonnablement dire que l’économie de la zone euro n’a pas été en aussi bonne santé depuis de nombreuses années. Pourtant, nous savons qu’il peut exister un décalage, voire un clivage, entre les données macroéconomiques sur lesquelles nous nous appuyons essentiellement (et que nous utilisons pour communiquer et justifier nos décisions) et ce que les gens perçoivent.

Par exemple, même si dans la zone euro dans son ensemble, la hausse récente de l’emploi a plus que compensé les baisses enregistrées depuis le début de la crise, le taux de chômage ici, en région Centre-Val de Loire, est passé de 5,5 % en 2008 à 8,6 % l’an dernier selon l’office de statistique de l’Union européenne. Avant le déclenchement de la crise, le taux de chômage de cette région était inférieur à la moyenne de la zone euro. Ce n’est plus vrai aujourd’hui.

Je tiens à vous assurer que, depuis le siège de la BCE à Francfort, ces différences entre régions ou pays ne passent pas inaperçues. Nous suivons de très près les évolutions régionales et examinons attentivement les raisons possibles des écarts persistants en termes de croissance et d’inflation. En effet, si les divergences entre régions ou pays d’une même union monétaire étaient permanentes, il deviendrait de plus en plus difficile de définir et mettre en œuvre une politique monétaire commune.

Parfois, la politique monétaire ne peut avoir qu’une incidence très limitée sur les différences régionales. Je reviendrai sur ce sujet dans un moment. Dans d’autres circonstances, en revanche, les banques centrales peuvent et devraient contribuer à réduire les disparités, en particulier lorsque celles-ci menacent l’efficacité de leur politique monétaire.

Notre expérience depuis 2014 en témoigne. A cette époque, nous avons constaté des disparités dangereuses en matière d’accès des entreprises au crédit. Il suffit, pour vous en convaincre, d’observer le transparent suivant, dans lequel apparaissent les réponses d’entreprises à l’enquête de la BCE et de la Commission européenne sur l’accès des entreprises au financement, qui vise essentiellement les PME. Plus particulièrement, les graphiques montrent les réponses apportées par des entreprises des diverses grandes régions européennes à la question : « Diriez-vous que l’accès aux prêts bancaires pour votre entreprise s’est amélioré, est resté inchangé ou s’est détérioré au cours des six derniers mois ? ». Les zones en jaune indiquent que les entreprises ont constaté une détérioration de l’accès au financement.

Clairement, en 2014, nombreuses ont été les régions de la zone euro dont les PME, qui constituent la base de notre économie, ont fait état d’un accès restreint au crédit, y compris ici, dans ce que les statisticiens appellent le « Bassin parisien ».[2] L’action des banques centrales consistant essentiellement à influencer le coût du crédit, nous en avons conclu que notre politique monétaire n’avait pas pu pleinement agir dans ces régions, menaçant l’investissement et la création d’emplois.

Notre instrument de politique monétaire conventionnel, le taux d’intérêt auquel les banques peuvent emprunter des fonds au jour-le-jour, n’était pas adapté pour faire face à une telle fragmentation. À partir de la mi-2014, nous avons donc adopté une série de mesures visant à permettre aux banques d’accorder plus facilement des crédits à l’économie réelle.

Pour résumer, nous avons autorisé les banques à emprunter des fonds auprès de la BCE sur des horizons beaucoup plus longs, pouvant aller jusqu’à quatre ans, à des taux très intéressants, à condition qu’elles accroissent leur activité de prêt à l’économie réelle. À cette fin, nous avons eu recours à des « opérations de refinancement à plus long terme ciblées ». En outre, les garanties que les banques fournissent lors de tout refinancement auprès de la BCE (en pratique, auprès de la Banque de France) peuvent être constituées de créances privées, y compris de prêts aux PME.

Par ailleurs, nous avons pris deux autres décisions de politique monétaire.

La première, à laquelle les économistes ont donné le nom d’« assouplissement quantitatif », consiste à acheter des titres sur les marchés financiers : à la fin du mois de septembre nous avions ainsi acquis 2 076 milliards d’euros d’obligations du secteur public, 259 milliards d’euros d’obligations garanties, 170 milliards d’euros d’obligations d’entreprise et 27 milliards d’euros de titres adossés à des actifs.

Comment ces achats bénéficient-ils à l’économie réelle ? Le mécanisme à l’œuvre est à la fois très simple et puissant : en achetant des obligations d’État en particulier, nous réduisons le rendement que les banques et autres investisseurs peuvent espérer tirer de la détention d’un actif financier sans risque, rendant l’octroi de crédits ou la fourniture de capitaux à l’économie réelle plus attractifs.

La deuxième décision que nous avons prise consiste à imposer des taux d’intérêt négatifs, à savoir un taux d’intérêt annualisé de -0,4 % sur les dépôts au jour-le-jour effectués par les banques auprès de la BCE. Cette décision n’est guère populaire auprès du grand public, qui se sent privé de son « droit » de percevoir des intérêts positifs sur l’épargne.

Or, on oublie souvent deux choses. Premièrement, les taux négatifs s’appliquent rarement aux entreprises et encore moins souvent aux ménages. Ils sont prélevés auprès des banques. Deuxièmement, le fait de taxer les dépôts de fonds au jour le jour des banques auprès de la BCE a créé un effet de « patate chaude » : au lieu de thésauriser leur liquidité, les banques sont incitées à octroyer des crédits aux entreprises et aux ménages.

À droite, sur ce transparent, vous pouvez voir que nos mesures ont porté leurs fruits. Aujourd’hui, le crédit ne représente plus un obstacle à la croissance. Presque toutes les régions de la zone euro déclarent désormais des améliorations dans la disponibilité des prêts bancaires. C’est notamment le cas dans le Bassin parisien. En d’autres termes, nos mesures ont visiblement réduit la fragmentation dans la zone euro. Vous pouvez le constater sur le prochain transparent.

Alors que, en 2014, les taux d’emprunt appliqués aux entreprises en Italie et Espagne étaient nettement supérieurs à ceux qui étaient enregistrés en Allemagne ou en France, cet écart s’est largement résorbé. Au sein de notre union monétaire, les entreprises ne sont plus pénalisées par leur lieu d’implantation. Et pour celles qui bénéficiaient déjà de faibles taux d’intérêt il y a quelques années, les conditions d’emprunt actuelles sont sans précédents.

Les prêts bancaires n’ont jamais été aussi bon marché qu’aujourd’hui pour les entreprises. En France, par exemple, le coût composite de l’emprunt s’est établi, pour les entreprises, à seulement 1,5 % au cours du premier semestre de cette année. Bien entendu, cela ne signifie pas que chacun d’entre vous peut toujours obtenir un prêt bancaire. L’évaluation du risque de crédit demeure une fonction essentielle des banques et la relation est commerciale. Quoi qu’il en soit, le crédit est désormais plus accessible et moins cher.

Les entreprises ont d’ailleurs réagi au net assouplissement des conditions de financement, comme vous pouvez le constater sur le graphique de droite. Grâce à l’incidence de nos mesures sur les taux d’emprunt, la croissance annuelle des prêts aux entreprises s’est fortement accélérée au cours des dernières années. En conséquence, l’investissement des entreprises augmente actuellement à un rythme annuel nettement supérieur à 3 % en France et dans l’ensemble de la zone euro. En France, la progression des prêts a même été telle que le Haut Conseil de stabilité financière a décidé que les banques devront provisionner davantage de fonds propres à partir du 1er juillet 2019 en vue de se protéger contre tout risque futur.

Améliorer le fonctionnement de nos économies

En réduisant les taux d’emprunt appliqués aux acteurs de l’économie réelle, la BCE a donc très largement contribué à créer des conditions propices à l’investissement, à la consommation et, in fine, à la stabilité des prix. Et l’on peut dire que nombre des emplois créés ces dernières années sont en partie imputables au succès des politiques de la BCE.

Cela étant, une politique monétaire orientée vers la stabilité constitue une condition nécessaire, mais non suffisante, pour assurer une croissance durable. Une large part des disparités qui subsistent entre les régions sont liées à d’autres facteurs que la politique monétaire.

À titre d’exemple, on voit sur le transparent suivant que malgré des conditions de financement favorables, ici, en Centre-Val de Loire, la croissance et la création d’emplois n’ont pas suivi, ces dernières années, le rythme observé dans de nombreuses autres régions de la zone euro. Dans une certaine mesure, l’écart s’est même creusé.

Ces disparités résultent souvent de différences de fonctionnement des marchés du travail, de réglementation des marchés des produits ou, plus généralement, de facilité à exercer une activité. De fait, à maints égards, les structures économiques et financières des pays de la zone euro sont encore très diverses. Bien entendu, ces différences ne sont pas une mauvaise chose en soi. Elles traduisent des préférences, des cultures et des histoires nationales qu’il convient de préserver et d’entretenir. L’Europe n’est pas un carcan et n’impose pas un modèle de développement unique.

Il existe toutefois une relation évidente entre la qualité des institutions et la prospérité économique, qu’illustre le transparent suivant. Le graphique de gauche montre que plus la qualité des institutions économiques d’un pays est élevée et plus ce pays a tendance à être riche.

La France en est un bon exemple. Dans l’enquête de la BCE sur l’accès au financement dont j’ai parlé tout à l’heure, il a été aussi demandé aux entreprises d’indiquer ce qu’elles considéraient comme les principaux obstacles à leur activité (graphique de droite). Manifestement, selon bon nombre de PME, la réglementation constitue le problème le plus pressant en France et ici, dans le Bassin parisien, elles sont bien plus nombreuses que dans beaucoup d’autres régions de la zone euro à partager ce point de vue.

C’est la raison pour laquelle la réforme des économies, la réduction de la bureaucratie et l’amélioration de l’environnement des entreprises peuvent contribuer à une croissance plus forte et plus durable dans toutes les régions de la zone euro.

Là encore, le but n’est pas que tous les pays suivent un même modèle mais que chacun d’entre eux en adopte un qui produise de bons résultats tout en lui permettant de trouver et d’exploiter ses avantages comparatifs au sein du marché unique et de l’union économique et monétaire[3].

L’Union européenne soutient activement les efforts déployés par les gouvernements, notamment en France, en faveur du développement productif. Le Centre-Val de Loire, par exemple, bénéficie d’une aide financière d’environ 600 millions d’euros via les fonds européens structurels et d’investissement pour la période 2014 – 2020.

Ces fonds visent, entre autres, à stimuler la création d’emplois au sein des PME, à faciliter l’adaptation au changement climatique, y compris la transition vers une économie bas carbone, et à soutenir les mesures de formation à l’intention des jeunes. Dans la région Centre, plus de 1 500 jeunes chômeurs dont le niveau de qualification était inférieur à la moyenne nationale ont ainsi pu réintégrer le système éducatif, obtenir une qualification ou trouver un emploi.

La Banque européenne d’investissement est elle aussi active dans la région. Depuis 2011, elle a ainsi financé des projets à hauteur d’environ 1,5 milliard d’euros en Centre-Val de Loire, parmi lesquels la modernisation d’établissements d’enseignement secondaire ainsi que la construction, l’exploitation et l’entretien d’un nouveau tronçon de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Tours et Bordeaux.

Conclusion

Permettez-moi de conclure maintenant mon propos. Administrations locales, régionales et centrales et institutions européennes, en unissant nos efforts dans le cadre de nos mandats respectifs, nous pouvons créer les conditions nécessaires pour que nos entreprises soient compétitives sur le marché mondial et assurer ainsi emplois, sécurité et prospérité dans les territoires.

La BCE, pour sa part, continuera d’œuvrer pour la stabilité de la zone euro dans son ensemble. Les mesures que nous avons prises ces dernières années ont contribué de manière décisive à la réduction de la fragmentation financière dans la zone euro et, j’en suis convaincu, ont joué un rôle essentiel en termes de soutien à la croissance, à l’emploi et à la stabilité des prix.

Je vous remercie.

  1. [1]Je remercie Maarten Dossche pour sa contribution à ce discours et assume pleinement la responsabilité des opinions exprimées ici.
  2. [2]Jusqu’en 2016, le Bassin parisien était un concept statistique regroupant la Champagne-Ardenne, la Picardie, l’Île-de-France, la Basse et la Haute-Normandie, le Centre et la Bourgogne.
  3. [3]Cf. Cœuré, B. « Convergence matters for monetary policy », discours prononcé à Bruxelles, le 30 juin 2017, lors de la conférence du Réseau de recherche sur la compétitivité (Competitiveness Research Network, CompNet) – Innovation, taille de l’entreprise, productivité et déséquilibres à l’ère de la démondialisation.
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